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COMMISSION DES ÉTATS GÉNÉRAUX SUR LA SITUATION ET L’AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC
MÉMOIRE PRÉSENTÉ PAR LA FÉDÉRATION DES CÉGEPS

Adopté par le conseil d’administration
le 7 février 2001


INTRODUCTION

Créée en 1969, dans le but de promouvoir le développement de l’enseignement collégial et celui des cégeps, la Fédération des cégeps est le regroupement volontaire des 48 collèges publics du Québec. Porte-parole officiel des cégeps, elle défend leurs intérêts communs et les représente pour toutes les question qui concernent l’ensemble du réseau auprès des instances gouvernementales, des organismes du milieu de l’éducation, du monde du travail, des groupes sociaux, des médias et du grand public.

Les cégeps offrent de l’enseignement postsecondaire sur tout le territoire du Québec par le biais de 8 programmes d’études préuniversitaires, de 130 programmes d’études techniques menant à l’obtention d’un diplôme d’études collégiales (DEC), et de plus de 450 programmes d’études techniques menant à l’obtention d’une attestation d’études collégiales (AEC). De plus, 23 centres collégiaux de transfert de technologie œuvrant dans autant de secteurs spécialisés sont rattachés à des établissements d’enseignement collégial : ils exercent des activités de recherche appliquée, d’aide technique aux entreprises et de formation sur mesure.

Dans ce mémoire, la Fédération des cégeps entend présenter ses commentaires sur trois sujets qui l’interpellent plus directement : l’accessibilité aux études collégiales, la question des étudiants allophones et la qualité de la langue.

I. L’ACCESSIBILITÉ AUX ÉTUDES COLLÉGIALES

    Nés dans la foulée du rapport Parent, les cégeps ont été créés, entre autres, pour permettre aux Québécois et aux Québécoises, principalement francophones, d’accéder en plus grand nombre à l’enseignement supérieur. Lors de l’adoption de la loi 101, en 1977, le gouvernement du Québec avait choisi de ne pas appliquer à l’enseignement supérieur, soit aux collèges et aux universités, les restrictions concernant l’accessibilité à l’école publique et privée imposées à l’enseignement primaire et secondaire.

    Les cégeps doivent continuer de remplir leur mission d’accessibilité à l’enseignement supérieur et c’est pourquoi la Fédération des cégeps considère que l’actuel article 72 de la loi 101 ne doit pas être modifié. En effet :

1.1 L’enseignement collégial, tout comme l’enseignement universitaire, fait partie de l’enseignement supérieur et se situe donc au niveau postobligatoire. La population desservie par les cégeps, celle qui recherche un DEC comme celle qui souhaite obtenir une AEC, est composée presque exclusivement de jeunes adultes et d’adultes confirmés. Il s’agit donc d’une population dont le choix est éminemment personnel et responsable, qu’il s’agisse de l’établissement, du programme ou du diplôme visé. Et qui se situe dans la perspective de poursuivre des études supérieures, d’atteindre plus rapidement le marché du travail ou de se perfectionner. Restreindre ce choix ne manquerait pas de constituer, pour certains de ces étudiants, un frein à l’accessibilité aux études supérieures, qui les inciterait soit à renoncer à faire des études collégiales, soit à choisir une autre façon d’étudier (la formation en ligne, par exemple, qui est pour l’instant principalement offerte en anglais et qui conduit rarement à une qualification reconnue), ou encore un autre lieu d’étude (les provinces voisines, par exemple, où le système permet d’accéder à l’université après douze années de scolarité).
Le Québec ne peut prendre le risque de perdre éventuellement de tels candidats à des études supérieures alors que certains domaines essentiels pour son développement économique connaissent une pénurie de main-d’œuvre et que cette situation risque de s’accentuer au cours des prochaines années. Les études collégiales sont un outil antichômage, une clé pour des emplois de qualité. En 1998, au Canada, 77 % des 360 000 emplois créés exigeaient un diplôme d’études collégiales ou universitaires; sur 29 500 postes offerts la même année au Québec en technologie de l’information, 52 % étaient destinés à des diplômés de la formation technique. D’ailleurs, selon Emploi-Québec, 80 % des professions requièrent ou privilégient désormais des études de niveau supérieur (collégial ou universitaire) . Chez les détenteurs d’un DEC de 24 ans et moins, le taux de chômage n’est plus que de 6,3 %, alors qu’il est de 15,8 % pour l’ensemble des jeunes du même groupe d’âge. Certains secteurs en pleine croissance présentent un besoin important de nouveaux techniciens : les technologies de l’information et des communications, le textile, les mines et la métallurgie, la foresterie, l’aérospatiale, la santé, le commerce de détail, l’énergie, le meuble et l’agroalimentaire.
1.2 Les cégeps préparent bon nombre de leurs étudiants à accéder directement au marché du travail une fois leur diplôme obtenu. C’est le cas, bien sûr, pour tous ceux qui sont inscrits à un DEC technique et à une AEC. Le cégep étant, à cet égard, dans la même situation que les universités, il n’y a aucune raison d’y imposer des conditions différentes, que les études se terminent au collège ou, quelques années plus tard, à l’université. Les commissions scolaires elles-mêmes n’ont d’ailleurs pas l’obligation d’appliquer l’article 72 de la loi 101 à l’égard des adultes désireux de s’inscrire à un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou même d’obtenir leur diplôme d’études secondaires (DES) par le biais de la formation continue : parce qu’ils sont adultes, ces étudiants peuvent choisir leur établissement quelle qu’en soit la langue d’enseignement. Peut-on imaginer un système scolaire qui permettrait à la même personne de choisir la langue d’enseignement lorsqu’elle s’inscrit au secondaire, dans un programme menant à une AEC au collégial, ou à des études universitaires, mais le lui refuserait lorsqu’elle veut suivre des études collégiales menant à un DEC?
1.3 La situation actuelle à l’enseignement collégial fait en sorte que 15 % environ des étudiants inscrits à un programme menant au DEC, soit 25 878 personnes sur 171 416, fréquentent le réseau collégial anglophone. Ce pourcentage, reflet des données de 1999-2000, a diminué légèrement au cours des ans : il était d’environ 17 % en 1984-1985. Selon le Bulletin statistique de l’éducation (no 10, mars 1999, p. 5) publié par le ministère de l’Éducation (MEQ), « la proportion d’élèves qui étudient en français a légèrement augmenté et s’établit à 83,9 %, tandis que 15,1 % des élèves étudient en anglais et 1 % dans des établissements d’enseignement collégial donnant l’enseignement dans les deux langues. Cette répartition est stable depuis 1993 ». Parmi les nouveaux étudiants qui fréquentent le réseau collégial anglophone, 5500 viennent de commissions scolaires anglophones : il y en a donc environ 3500 qui viennent de commissions scolaires francophones et qui poursuivent leurs études dans un collège anglophone.
Parmi ceux-ci, bien sûr, certains sont allophones. Et plusieurs organismes ou personnes qui se sont présentés devant cette Commission ont affirmé que le pourcentage croissant des jeunes allophones qui, après avoir fait leurs études secondaires en français, ont décidé de poursuivre leurs études collégiales dans un cégep anglophone, justifiait précisément des modifications à l’article 72. Certes, toujours selon les données du MEQ, cette catégorie d’étudiants a augmenté puisqu’elle est passée de 27,1 % en 1990 à 45,5 % en 1999 : ainsi présentée, la situation semble suivre une pente que d’aucuns peuvent prétendre dangereuse. Mais, une fois transposés en valeur absolue, ces pourcentages prennent une tout autre coloration : de 621 allophones qui ont choisi le cégep anglophone en 1990, nous sommes passés à 1455 en 1999, soit une augmentation de 834 personnes. La différence ne nous semble certes pas aussi menaçante que ce que les pourcentages pourraient laisser croire. C’est pourquoi le fait de modifier la loi sur la base de ces chiffres nous paraîtrait une mesure pour le moins… démesurée. Ce faisant, n’en viendrait-on pas tout simplement à déporter le problème que l’on cherche à corriger au niveau universitaire? À moins que ceux qui favorisent l’accès restreint au cégep anglophone ne veuillent également imposer des restrictions à l’université?
Les étudiants qui optent pour des études supérieures en anglais, au collège comme à l’université, font un choix personnel que leur état de jeune adulte leur permet d’assumer dans une perspective de cheminement de carrière. Contraindre ces étudiants à fréquenter un cégep francophone ne nous garantit aucunement qu’ils poursuivraient, dans ces circonstances, des études collégiales. Parmi l’ensemble des mémoires présentés jusqu’ici devant cette Commission, une telle mesure n’a d’ailleurs été envisagée que par un petit nombre d’organismes et de personnes : et les jeunes eux-mêmes, qui se sont penchés sur cette question, ont clairement exprimé le souhait que l’on maintienne les dispositions actuelles de la loi. C’est également notre point de vue. Des mesures visant à améliorer la francisation du monde du travail et la qualité de la langue utilisée au Québec nous semblent beaucoup plus prometteuses pour renforcer la force d’attraction du français auprès des allophones.

II. LA QUESTION DES ALLOPHONES

    Plutôt que de songer à contraindre, il vaudrait mieux mettre en place de meilleures conditions d’apprentissage pour les allophones qui ont choisi de poursuivre leurs études collégiales en français. Cette question a fait l’objet d’une analyse récente fort documentée, intitulée La réussite en français des allophones au collégial : constat, problématique et solutions.
    Les auteurs de cette étude constatent que les allophones inscrits dans les collèges de langue française réussissent moins bien que les francophones l’ensemble des cours de français, ainsi que l’épreuve ministérielle de français obligatoire depuis 1998 pour obtenir le diplôme d’études collégiales. Il y a toutefois des variations importantes selon les sous-groupes linguistiques. Ainsi, à l’automne 1998, 10,7 % des élèves de langue maternelle française et 26,1 % des élèves ayant une autre langue maternelle ont échoué à l’épreuve ministérielle de français.
    Cet écart, récurrent depuis l’automne 1995, indique que la réussite aux cours de français et à l’épreuve ministérielle de français constitue une difficulté particulièrement importante pour l’obtention du DEC chez les allophones. Fait plus préoccupant, comme le soulignent les auteurs de l’étude dans un article récent , « les données soulèvent la question de savoir si ces élèves allophones à risque ont pu bénéficier du soutien nécessaire et ce, dès leur arrivée au cégep, pour éviter ces abandons ou cette mobilité excessive ».
    La Fédération des cégeps considère que des mesures s’imposent pour établir une accessibilité équitable à l’obtention du diplôme collégial si on veut favoriser le maintien et même l’augmentation des élèves allophones dans le réseau collégial francophone. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de test de classement visant spécifiquement la clientèle allophone du collégial : le ministère de l’Éducation pourrait élaborer un test, constitué de plusieurs niveaux, qui permettrait d’établir un diagnostic raffiné prenant en compte, entre autres, le fait que les allophones ne forment pas un bloc homogène. Il faudrait également mettre au point un ensemble de cours qui prépareraient aux cours de mise à niveau en français les allophones admis dans un collège francophone et jugés non aptes à suivre les cours de mise à niveau disponibles. Dans certains cas, une session complète d’accueil et d’intégration pour de tels étudiants devrait être envisagée, avec un ratio adéquat professeur-étudiants. De telles mesures seraient de nature, croyons-nous, à traiter équitablement les étudiants prêts à poursuivre leurs études collégiales en français et à donner à tous une pleine chance de succès. Ce n’est certes pas en sachant qu’ils ont moins de chances de réussir que les allophones seront davantage attirés par les cégeps francophones.

III. LA QUALITÉ DE LA LANGUE

    La Fédération des cégeps se préoccupe depuis toujours de la maîtrise de la langue – et plus particulièrement de la langue écrite – par les diplômés du collégial. Dans un avis émis il y a plus de dix ans, le Conseil des collèges avait avancé un certain nombre de recommandations à cet égard, que la Fédération avait fortement appuyées. La première se lisait comme suit : « Le Conseil recommande au ministre d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action vigoureux en matière d’enseignement du français au collégial et de l’assortir d’un calendrier de réalisations et de mécanismes d’évaluation appropriés ».
    Aussi, dans le mémoire qu’elle a présenté à la Commission parlementaire sur l’enseignement collégial, en 1992, la Fédération a indiqué « qu’elle jugeait essentiel d’intégrer au noyau de formation générale des objectifs liés à la maîtrise de la langue maternelle » et qu’elle souhaitait que « pour assurer de meilleures chances de succès dans les études supérieures, le DES comporte un minimum beaucoup plus élevé d’unités » et inclue, entre autres, l’obligation de réussir le cours de français de 5e secondaire, mesure qui est entrée en vigueur en 1997. Dans le même sens, elle a exprimé son accord, lors du renouveau de l’enseignement collégial, avec une réorganisation des cours de français et avec la mise en place d’un examen ministériel qui vise à vérifier l’atteinte, par tous les diplômés, des objectifs et des standards fixés en langue et littérature.
    L’analyse des taux de réussite à cette épreuve uniforme en langue et littérature, depuis sa mise en place indique un net progrès : de 78,3 % en 1995-1996, ce taux est passé à environ 88 % (88,6 % en 1998-1999 et 88,1 % en 1999-2000) depuis que la réussite à cet examen est devenue une condition d’obtention du DEC.
    Le dernier rapport de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial souligne à cet égard que « la mise en œuvre de (ces) cours est généralement adéquate dans l’ensemble des collèges. Les professeurs se sont appropriés les nouveaux devis et ont revu en conséquence leur contenu de cours. L’examen des plans de cours témoigne des efforts déployés par les collèges et les professeurs à cet égard ».
    L’accent mis sur la maîtrise et la qualité du français dont tout détenteur d’un DEC doit témoigner peut et doit se faire parallèlement à une garantie de maîtrise adéquate de la langue seconde. Pour ce faire, comme le note la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial dans le même rapport, « il est pour le moins consternant qu’après cinq années d’enseignement de l’anglais, voire huit dans certains cas, les élèves n’arrivent pas mieux préparés lorsqu’ils entreprennent leurs études collégiales… Une telle situation appelle un rehaussement des standards au niveau secondaire ».
    En ce qui concerne les ajustements que recommande la Commission pour mieux assurer une plus grande maîtrise de la langue maternelle et de la langue seconde par l’ensemble des étudiants qui s’inscrivent au collégial, la Fédération analyse actuellement les pistes suggérées, dans le cadre de discussions déjà entamées avec le ministère de l’Éducation. Elle croit cependant que la direction prise est la bonne, et que le cap doit être maintenu.

CONCLUSION

En somme, la Fédération des cégeps considère que la solution de rendre obligatoire la fréquentation du réseau collégial francophone, en plus d’être inéquitable et contraire à la nature même de l’enseignement supérieur, est une mauvaise solution à un problème qui n’en est pas un, compte tenu du faible nombre de personnes concernées. Au-delà de l’effet politique à coup sûr considérable qu’une telle mesure aurait, effet que l’on peut facilement induire des témoignages fournis devant cette Commission, au-delà de l’effet inévitable qu’elle aurait sur l’enseignement postobligatoire, le risque de détourner un certain nombre d’étudiants potentiels de la poursuite d’études supérieures au Québec en est un que nous ne pouvons pas, comme société, nous permettre de prendre, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Le remplacement et l’amélioration de ce qui existe déjà ainsi que la mise en place de nouvelles mesures nous semblent davantage porteurs de résultats que la restriction de l’accès au secteur collégial anglophone.

Aussi la Fédération des cégeps recommande-t-elle :

  • De maintenir intact l’article 72 de la loi 101
  • De mettre au point des mesures pour assurer une véritable accessibilité à la réussite des études collégiales en français par les élèves allophones et d’en garantir le financement
  • De rehausser les standards de maîtrise de l’anglais langue seconde au niveau secondaire
  • De maintenir les exigences des cours actuels de français, langue et littérature, tout en analysant les recommandations et les suggestions contenues dans le récent rapport de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial sur la mise en œuvre de la formation générale, afin de convenir avec le ministère de l’Éducation des ajustements à apporter
  • De continuer à faire de la réussite à l’épreuve ministérielle de français une condition d’obtention du DEC