Autres
Communiqués
Mémoires et avis
Textes d’opinion
Autres
2024
2023
2022
2021
2020
2019
2018
2017
2016
2015
2014
2013
2012
2011
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
janvier
mars
mars
avril
mai
juin
juillet
août
septembre
octobre
novembre
décembre
Résultat(s)

Filtres sélectionnés:

Avis de la Fédération des cégeps sur le projet de loi 143 : Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics et modifiant la Charte des droits et libertés de la personne (Août 2000)

30 août 2000


Introduction

La Fédération des cégeps a pris connaissance avec beaucoup d’intérêt du projet de loi 143. Il s’agit là d’un projet important, qui illustre bien la diversité de la société québécoise actuelle et sa volonté de corriger les inégalités en emploi dans les organismes publics. La Fédération en appuie les principes fondamentaux, car elle estime, en effet, qu’il faut assurer par des mesures actives une plus juste représentation sur le marché du travail non seulement des femmes, mais aussi des autochtones et des personnes faisant partie d’une minorité visible. Cependant, elle tient à exprimer un certain nombre de considérations qu’elle souhaiterait voir prises en compte dans la future Loi, afin d’en alléger les procédures et d’en faciliter ainsi l’implantation dans le réseau collégial public.

C’est à titre de porte-parole d’un réseau qui emploie près de 20 000 personnes dans toutes les régions du Québec que la Fédération souhaite commenter le projet de loi 143 et ses incidences sur l’organisation du travail dans les collèges. Créée en 1969, la Fédération des cégeps est le regroupement des 48 collèges publics du Québec. Elle a pour mission de promouvoir le développement de l’enseignement collégial et elle agit comme porte-parole officiel du réseau collégial sur toutes les questions qui les concernent, en particulier dans les domaines de la pédagogie, du financement, des ressources humaines, des relations de travail et de la négociation des conventions collectives.

EXPERTISES DES COLLÈGES DANS LES PROGRAMMES D’ACCÈS À L’ÉGALITÉ

Les collèges possèdent une expérience de plusieurs années dans l’implantation de programmes d’accès à l’égalité pour les femmes. Ces programmes ont pour objectif de corriger la discrimination systémique, en changeant, notamment, les mentalités et les pratiques d’embauche. Cette expertise du réseau collégial, qui a eu pour effet d’améliorer grandement la situation des femmes dans les collèges, a ceci de précieux qu’elle est le fruit d’une collaboration constante des cégeps avec leurs partenaires des syndicats et des associations de cadres. Ceux-ci ont, en effet, toujours été associés à toutes les étapes de mise en œuvre des programmes d’accès à l’égalité, ce qui s’est avéré une garantie de succès. C’est à la lumière de cette expérience que sont faites les présentes recommandations.

Selon un rapport d’analyse qui sera publié prochainement par le Comité consultatif national d’accès à l’égalité (CCNAE)1, 37 % des établissements collégiaux ont déjà mis sur pied un comité local d’accès à l’égalité, et 30 % sont engagés dans une démarche de mise en œuvre de programme d’accès à l’égalité telle qu’elle est préconisée par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. Tous les établissements qui ont implanté un programme d’accès à l’égalité ont adopté des mesures de redressement qui prévoient, entre autres, l’atteinte d’objectifs numériques pour certaines disciplines, notamment dans les secteurs d’emploi traditionnellement occupés en majorité par des hommes.

De plus, tous les établissements collégiaux sans exception ont adopté des politiques ou des mesures pour favoriser l’accès à l’égalité des femmes dans leur milieu : mesures d’accueil et d’intégration, révision des critères d’embauche pour éliminer les biais discriminatoires, sensibilisation aux pratiques et méthodes pédagogiques non sexistes, accès à des services de garde, publication d’articles et de bulletins d’information, participation à des concours tel que Chapeau les filles, etc.

Les collèges sont donc bien engagés dans la mise en œuvre de programmes d’accès à l’égalité ou dans l’application de politiques et de mesures d’égalité pour les femmes. Cet engagement se traduit déjà, notamment, par une amélioration de la situation des femmes ou de leur présence dans le réseau collégial, par un changement dans les mentalités et par une percée des femmes dans les disciplines et les secteurs plus traditionnellement masculins. Les chiffres suivants illustrent bien cette évolution dans les différentes catégories d’emploi des collèges, entre 1990 et 1998 :

Évolution du nombre d’employées de 1990-1991 à 1997-1998

  • De 20 % à 30 % du personnel d’encadrement
  • De 36 % à 43 % du personnel enseignant
  • De 34 % à 51 % du personnel professionnel
  • De 53 % à 58 % du personnel de soutien

RÉACTIONS DE LA FÉDÉRATION DES CÉGEPS AUX MESURES PROPOSÉES

Rôle de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Comme le propose le projet de loi, la Fédération juge nécessaire que chaque collège établisse un portrait de ses effectifs pour en arriver, s’il y a lieu, à mettre en place un programme d’accès à l’égalité. Dans le même sens, elle estime pertinent que les collèges prennent des mesures pour favoriser l’accès à l’égalité s’il y a une sous-représentation d’un groupe concerné au sein de leur établissement.

Cependant, la Fédération s’interroge sur l’utilité des mesures d’encadrement et de contrôle proposées par le législateur et dont l’application seraient confiée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Est-il vraiment nécessaire de mettre en place des procédures si contraignantes qu’elles laissent peu de place à la culture organisationnelle et aux réalités locales? La Fédération estime qu’il faudrait plutôt permettre aux collèges de consolider leurs acquis et de développer de nouvelles expertises dans la mise en œuvre de programmes d’accès à l’égalité en privilégiant une approche basée sur l’autonomie et la responsabilisation.

La Fédération croit donc que le rôle de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse à l’égard de l’application de la Loi devrait être redéfini. Ce rôle, pour lequel la Commission a déjà une compétence reconnue par les collèges, devrait consister à informer et à appuyer les démarches des établissements. Les collèges, eux, établiraient un portrait de leurs effectifs qui tienne compte des réalités propres à l’enseignement collégial, notamment celles du personnel enseignant. En effet, contrairement à ce qu’établit la Classification nationale des professions du Canada, le personnel enseignant ne peut être considéré comme faisant partie d’un seul type d’emploi. Chaque domaine du savoir exige des compétences différentes, dont les collèges doivent tenir compte lorsqu’il y a un besoin à combler dans une discipline.

La Commission devrait s’assurer de rendre disponibles aux établissements concernés les données statistiques sur la représentation des différents groupes visés en prenant en compte les types d’emploi identifiés par les collèges. Les établissements pourraient par la suite établir leurs propres comparaisons diagnostiques en fonction de leur zone de recrutement et mettre sur pied, le cas échéant, des programmes d’accès à l’égalité. Les collèges auraient cependant à transmettre l’information à la Commission sur les efforts entrepris pour atteindre leurs objectifs, et celle-ci pourrait conseiller les établissements sur les différentes mesures permettant d’atteindre une plus grande représentation.

En outre, la Fédération estime qu’il n’est pas pertinent que soit confié à la Commission le mandat de vérifier la teneur des programmes d’accès à l’égalité, ni le pouvoir de demander à un établissement de le modifier, comme le prévoient les articles 15 et 16 du projet de loi. En effet, les collèges, d’une part, sont des organismes publics autonomes, responsables et qui répondent de leurs actes. Ils ont, d’autre part, une solide expérience des programmes d’accès à l’égalité et de la concertation avec leur milieu. Ils sont donc les mieux placés pour porter un jugement sur la représentation des groupes visés dans leur établissement et pour décider du bien-fondé de mettre sur pied un programme d’accès à l’égalité.

Finalement, la Fédération est convaincue qu’une loi d’accès à l’égalité est un projet de société, qui devrait refléter les efforts de tous les établissements pour garantir l’accès à l’emploi des personnes. C’est pourquoi la Fédération estime qu’il ne serait pas souhaitable que la Loi donne lieu à des palmarès, un effet pervers que la publication des listes d’organismes assujettis à la Loi pourrait provoquer. En conséquence, la Fédération demande que l’article 23 soit supprimé du projet de loi.

Les contrats de travail

Le gouvernement du Québec et la Fédération des cégeps sont partie prenante des contrats de travail qu’ils viennent tout juste de signer avec leur personnel. Les modalités de travail du personnel syndiqué sont inscrites dans les conventions collectives nationales. Elles ne relèvent pas toutes de la juridiction des établissements, qui ont peu de marge de manœuvre en ce qui concerne, notamment, les conditions et la séquence d’embauche. En ce qui a trait, en particulier, à l’accès à l’égalité, l’entente 2000-2002 du personnel enseignant précise qu’une mesure d’un programme d’accès à l’égalité dont la portée modifie les dispositions nationales ne prend effet que s’il y a entente entre les parties nationales2. La Loi doit donc également tenir compte des règles de gestion du personnel dans les collèges, un personnel en grande majorité syndiqué. Même si le projet de loi prévoit toutes les conditions pour permettre un plus grand accès des groupes visés à l’égalité à l’emploi, les conventions collectives existent et il faut les respecter. Actuellement, certaines règles s’appliquent comme critère d’embauche dans tous les contrats de travail.

Or, toute mesure de redressement qui serait non conforme aux conventions collectives et qui toucherait, notamment, la question de la priorité d’emploi, pourrait être déclarée illégale en arbitrage. Cela reviendrait alors à rendre les collèges « hors-la-loi », soit par rapport aux conventions collectives de travail, soit par rapport à la Loi. La mise sur pied de programmes d’accès à l’égalité suppose donc une concertation avec le milieu, et en particulier avec les syndicats. C’est de cette manière que les collèges ont toujours agi, et l’expérience démontre que c’est une façon de faire qui garantit le succès. Il faut, par conséquent, donner du temps au réseau collégial pour que les programmes d’accès à l’égalité soient arrimés aux conventions collectives. C’est ce qui permettra d’avoir de véritables mesures de redressement, négociées entre les parties plutôt qu’imposées.

Les ressources financières

L’expérience acquise au fil des ans par les collèges démontre que la bonne marche d’implantation d’un programme ou de mesures d’accès à l’égalité dépend de plusieurs facteurs, et notamment de l’affectation de ressources humaines et financières. Cette affectation de ressources sera d’autant plus importante qu’il faudra assumer les obligations qui découleront de l’application de la loi 143 : l’analyse des effectifs, les rapports à produire pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, l’élaboration et l’application d’un programme d’accès à l’égalité, la sensibilisation du milieu afin de susciter son adhésion, sont des activités qui exigeront des efforts importants de la part des collèges. On se souvient, par ailleurs, que les collèges ont vécu des compressions financières massives au cours des dernières années, qui ont entraîné, entre autres, des réductions de personnel. Or, la Fédération évalue que chaque collège devra affecter une personne à demi temps à la réalisation des activités prévues par la Loi. Pour le réseau collégial, cela équivaut à un ajout de ressources financières de l’ordre de 1,5 million de dollars, ce qu’il ne peut pas se permettre, car les priorités vont au réinvestissement dans les services directs aux étudiants et plus particulièrement dans ceux qui concernent la réussite et la diplomation. De plus, il faudrait prévoir que les collèges, qui ont développé une expertise du réseautage et qui confient à la Fédération la responsabilité de coordonner leur travaux pour tout ce qui touche à l’accès à l’égalité, puissent continuer à se donner des outils d’analyse et d’intervention communs dans le cadre de l’application de la Loi.

En conclusion

La Fédération est en accord avec les éléments essentiels du projet de loi 143 et elle apporte son soutien au ministre des Relations avec les citoyens et de l’Immigration. Elle rappelle que les collèges ont déjà une bonne longueur d’avance dans l’implantation de programmes d’accès à l’égalité pour les femmes en concertation avec leurs partenaires du milieu, et que les mesures d’application de la Loi devraient en tenir compte. La Fédération estime cependant qu’il faudrait éviter d’introduire dans la Loi des procédures trop lourdes, ce qui ferait perdre de vue l’objectif final, très louable. Il faut aussi tenir compte de la culture organisationnelle des collèges, de leur réalité et des conventions collectives.

La Fédération recommande donc d’alléger les procédures prévues par le projet de loi en accordant, notamment, plus de responsabilités aux collèges dans la gestion des programmes d’accès à l’égalité. Elle rappelle également qu’il faudrait prévoir un ajout de ressources dans le réseau collégial pour lui permettre d’appliquer la Loi.


1 CCNAE : comité national composé de représentantes désignées par les principales fédérations syndicales du personnel enseignant du réseau collégial, le ministère de l’Éducation et la Fédération des cégeps. L’un des mandats du comité est de soumettre un rapport d’analyse sur l’implantation des programmes d’accès à l’égalité dans les collèges, en tenant compte de l’intégration des femmes dans les disciplines des secteurs non traditionnels pour le collège ayant un tel programme.

2 Entente 2000-2002, Accès à l’égalité, article 2-4.05.


Fédération des cégeps
500, boul. Crémazie Est
Montréal (Québec)
H2P 1E7

Téléphone : (514) 381-8631
Télécopieur : (514) 381-2263

https://www.fedecegeps.qc.ca
comm@fedecegeps.qc.ca

© Fédération des cégeps